Dublin. Même boîte, même job,même bus pour m’y emmener tous les matins. On me félicite d’avoir anticiper la récession en prenant une année sabbatique au lieu de tout simplement démissionner. Avoir une rentrée d’argent n’est pas un luxe dont j’aurais pu facilement me passer par les temps qui courent, cela tombe sous le sens. Revenir à la case départ me laisse cependant un arrière goût que je n’aurais sans doute pas ressenti si j’avais du recommencer de zéro, ici ou ailleurs. Une ellipse, une parenthèse. Je ne suis pas tombé dans le piège de me dire “tiens, il y a un an tu faisais ceci ou cela” mais force est de constater que mon quotidien n’est pas aussi excitant que lorsque je partais sac au dos à la recherche d’un bus à 4h du matin dans les rues de Leh… entouré de chiens enragés! Ce choix je l’assume néanmoins, même si il s’en est fallu de peu que je suive une tout autre route. Ce n’est que très tard que j’ai arrêté ma décision, bien aidé par un coup de pouce du destin. De ces rencontres qui peuvent vous chambouler une vie. En filigrane d’innombrables projets à creuser et de rêves à concrétiser.
Je n’ai aucune idée précise de ce que demain me réserve mais une chose est certaine, cette année m’a confortée dans l’idée que j’aspire à un autre style de vie. En chemin je me suis forgé des convictions auxquelles je ne suis pas prêt de renoncer. Il y a d’abord ce refus du modèle économique occidental dont les piliers sont une consommation outrancière couplée à la recherche permanente du profit. Cela peut vous paraître horriblement cliché mais pour moi ça ne l’est en aucune mesure. Une réaction mûrement réfléchie, pas celle d’un adolescent marginal que je n’ai jamais vraiment été. J’ai passé l’âge. Pendant un an je me suis promené avec en tout et pour tout 11kg de bagage. Se rendre compte que je n’avais pas besoin de plus pour mener ma barque m’a ouvert les yeux sur ma vie en Europe. J’ai repensé à tout cet argent jeté par les fenêtres par envie plus que par besoin. Etre un consommateur avant d’être un être humain, je n’en ai plus envie. Lorsque je me promène dans les rues de Dublin les samedis après-midi, j’ai l’impression qu’une grande majorité de la population est encore et toujours persuadée que le bonheur peut s’acheter en grande surface. On calcule notre bien être en fonction de notre pouvoir d’achat. Pouvoir, achat. En est-on vraiment réduit à cela?
J’ai encore en tête ces quelques jours passés autour de Noël dans ce petit village reculé du Laos. Assis sur un banc, je regardais des enfants courir une branche à la main derrière des pneus usés sous les regards émerveillés de leurs frères et sœurs hauts comme 3 pommes. Ils avaient dans leurs yeux une joie de vivre que j’avais jusque là si peu souvent eu la chance d’apercevoir. Ils ne verront sans doute jamais la couleur d’une Playstation ou d’un poste de télévision mais ils étaient sans doute plus heureux ce jour là que l’ado européen moyen qui s’apprêtait, au même moment, à déballer une demi-douzaine de boîtes multicolores bien rangées sous un sapin clignotant de mille feux. Après on peut argumenter autant qu’on veut, me dire que comme tout ce confort dont on se targue leur est inaccessible ils n’ont d’autre choix que de s’amuser avec 3 bouts de ficelles. Que des rêves d’occident encombrent les nuits de leurs parents. Il y a sans doute une part de vérité dans tout cela. Si un occidental a un jour la merveilleuse idée de débarquer avec une malle remplie de jouets hi-tech ils auraient vite fait d’abandonner leurs pneus à leur triste sort. Fort probable. Mais ce que j’ai vu ce jour là rien ni personne ne pourra me l’enlever. Leurs rires résonnent encore dans ma tête.
Oui, on a de la chance d’être né en occident. Si j’étais né laotien je n’aurais jamais eu la chance de parcourir le monde avec un budget conséquent. Je n’aurais jamais vu la couleur d’un hôpital ou d’un supermarché et il y aurait de fortes chances que je passe ma vie dans ce village qui m’a vu naître. On est des privilégiés, on a souvent tendance à l’oublier. Autour de moi les gens râlent, se prennent le chou pour des broutilles, descendent dans la rue pour défendre leur pouvoir d’achat (ben tiens). Ils se marchent sur les pieds pour rentrer dans un avion qui sera de toutes manières remplis à moitié alors que d’autres, à 5 heures d’ici, entament leur journée cramponné sur le toit d’un bus pour ramener de quoi subvenir aux besoins de leur famille … le sourire aux lèvres. Ce décalage, j’ai parfois énormément de mal à le digérer.
Alors oui je bosse pour une grosse boîte américaine, j’habite un chouette studio en plein centre du Dublin, j’écris ce texte sur un PC a 1000 Euros et je ne suis pas le dernier à râler lorsque mon bus est bloqué par une voiture garée en double file. Je ne suis pas un donneur de leçons, je n’en aurai jamais la prétention. J’ai juste voulu décrire l’état d’esprit dans lequel je me trouve actuellement et force est de constater que j’ai de plus en plus de mal à affronter notre société de face. Une remise en question permanente. Ce voyage aura été pour moi une étape importante dans mon développement personnel, d’autres suivront. Certaines plus photogéniques que d’autres. Ce n’est pas facile de vivre en accord avec ses idéaux. J’ai très peu de chance d’y parvenir un jour mais pas à pas je m’obstine à avancer vers plus de cohérence. Pas à pas. Peu importe où les vents me mènent…
.N.
Ce billet clôture officiellement ce blog, je le laisserai encore en ligne quelques semaines avant de sans doute le remplacer par un portfolio. D’ailleurs si il y a parmi vous des gens qui ont des connaissances en Flash je suis preneur!
Merci à tous ceux dont j’ai croisé la route.
Et merci à vous de m’avoir suivi durant cette année… Tous vos commentaires et autres e-mails m’ont été droit au cœur
A bientôt
Ici ou là-bas…
Chez vous ou chez moi…
… ailleurs
.
Je vous aime
Quelle belle conclusion, tres bien tournee pour aborder un sujet difficile.
Bonne chance dans te reinsertion, tout en gardant cette certaine distance que tu as acquise et que tu souhaites conserver. Apres tout, on peut vivre en Occident et ne pas etre un homme presse pour autant.
C’est vrai que ta vie xeroxienne n’a pas beaucoup change, alors pour voir le verre a moitie plein, souviens toi de la cantine d’antan et de XAM 🙂
A la prochaine, Seb
Tes récits mais surtout tes photos m’ont transportés… Merci d’y avoir passé du temps, j’ai eu l’impression de t’accompagner moi aussi au bout du monde.
Je t’aime
tout ce que tu nous décris et fais comprendre est bien juste
je l’ai très souvent ressenti et proclamé autrement que toi, normal: pas la même
expérience! Mais pour changer le monde et la mentalité mesquine de nombre
d’individus: toujours pas trouvé de solution!!!
et je reste écoeurée par le nombre d’échoppes de “loques” étalées sur les marchés
et autres produits en sur-abondance et polluants………..
mais l’espoir est un vent vif et frais qui peut encore soulever bien des choses
et qui chasse le désespoir
A bientôt que veux-tu dire exactement par “un flash”
Merci d’avoir partagé tes rencontres joies et peines et questionnements pendant toute cette année si riche. Comme Maureen (que je salue au passage) tu m’as transportée, je n’ai raté aucun de tes posts depuis la découverte de ce blog par hasard, j’ai souris, j’ai pleuré d’émotion (oui !), j’ai infiniment apprécié tout ce que j’y ai vu, tout ce que j’y ai lu. J’ai regretté même de ne pas en savoir plus, de seulement deviner. J’y ai découvert quelqu’un qu’au fond je ne connaissais pas et que finalement je n’avais pas vraiment pris la peine de connaître et je le regrette. J’ai lu et compris à quel point ce voyage te transformais. J’ai découvert quelqu’un avec une sensibilité bien plus proche de la mienne que je ne pouvais l’imaginer. Comme en témoigne ce dernier article d’ailleurs.
Mais surtout j’ai découvert ici un talent. Un talent indéniable de photographe, un talent d’écriture, un talent d’humanité simplement. Un talent rare. Si tu recherche une autre vie que celle que tu as retrouvée, ou une vie parallèle, tu as tout en main pour y arriver. Rarement je n’ai ressenti une telle émotion dans de simples “photos de voyage”. Tu as ce regard qui change tout. Il serait dommage de ne pas en faire profiter d’autres. Je le dis très sérieusement.
J’ai fait ce choix il y a 3 ans de quitter une situation “stable et confortable” pour vivre de simplicité et de convictions, vivre pour tenter à mon échelle de faire changer ce monde que tu décris, faire simplement ma part car le changement passe par chacun d’entre nous, vivre en faisant ce que je sais faire de mieux. Un choix difficile mais terriblement libérateur et je ne le regrette pas.
Merci encore, infiniment. J’espère pouvoir encore te lire et voir tes photos ici ou ailleurs.
tres profond….and i can say i have the same view as you have but to act on them
like you have is almost impossible,(meme si impossible n’est pas francais )allez salut
et a bientot de te voir ici a Beaverlodge…
jaro and Eilene
oh punaise….tu viens de me clouer le bec…et toi qui me connais si bien tu sais que ce n’est pas chose facile!
j’ai beau chercher je ne vois pas quoi ajouter, quel commentaire y apporter…d’ailleurs je suis persuadée que ce n’est pas ton intention: tu partages ton opinion, ton ressenti, ta reflexion sans pr autant nous demander quoi que ce soit en echange…libres à nous ensuite de voir si cela fait echo en nous, si cela nous touche, si cela nous fait réagir…
en tt cas saches que si toi ça te manques de ne plus dormir à meme le sol, ou d’entamer un langage de sourd avec une personne dont tu ne parles pas la langue, nous ça va nous manquer de ne plus te lire, car je rejoins Guillou: tu as un vrai talent!
Biz mon Nico chéri
Ac
Je rejoins les autres posts. Tout comme Anne-Charlotte, c’est avec un pincement au coeur que je lis ce tout dernier post. Tes récits vont me manquer. C’était une bouffée d’oxygène et de rêve dans ma vie d’occidentale nantie et sans relief particulier.
J’admire ton parcours, tes décisions et ta détermination à changer de vie. Je n’ai pas cette faculté de changement et d’adaptation que tu as. J’aurais été perdue à l’autre bout du Monde avec des chiens enragés aux fesses et, surtout, je ne saurais pas quitter les miens. Evidemment encore moins maintenant que la chair de ma chair trottine à mes côtés…
Ca fait du bien de lire et de connaître des gens comme toi, pour nous rappeler sans prétention la chance que nous avons de vivre dans un coin du Monde où la lumière s’allume du bout des doigts, l’eau potable coule à flot, le chauffage fonctionne en un quart de seconde et la faim s’apaise en ouvrant le frigo.
Bises Nico et que l’avenir t’apporte ce que tu recherches.
Nico…
On en a parle longuement deja… mais tu ne te vexeras pas si je te dis que tu t’exprimes bien mieux a l’ecrit qu’a l’oral (je ne parle pas de la photo!).
Tu as la chance d’avoir pris conscience de ta vie, et du chemin que tu veux suivre. Pas facile de resister a la pression de nos proches, de notre societe. Nous ne sommes qu’une poussiere de passage sur ce monde (ah! croire que 100 ans c’est vieux!).
Poco a poco, sigue tu camino. Crois en tes reves, crois en ta vie.
Bises colombiennes,
Lilie, qui s’en va changer son billet retour… pour plus tard! 🙂
Beaucoup de choses dites par toi ou par Guillou (entre autres) dans lesquelles je me reconnais et qui me laissent à la fois pensive, nostalgique, peut-être même triste. Et en même temps, je ne peux m’empêcher de croire (et de savoir) que tout est beaucoup plus compliqué et terriblement frustrant, détestable quelquefois …
En attendant de pouvoir en discuter ensemble un de ces jours…
Gros bisous.
Claire
Le genre de reflexion qu’il est fort de savoir écrire avec une telle précision.
Merci de la partager l’ami !