Lors de mon passage à Tucuman j’ai fait la connaissance d’un prof argentin de Rosario qui profitait des vacances scolaires pour traverser les provinces du Nord Ouest. En discutant autour d’un maté il me pointa sur une carte les endroits que je ne devais absolument pas louper en remontant vers le nord. C’est de cette manière que j’ai découvert l’existence d’Amaicha, pueblo de 5000 âmes considéré comme le village le plus ensoleillé d’Argentine avec 5 jours de pluie recensés par an.
Outre cette spécificité purement climatique Amaicha a la particularité de ne pas dépendre du gouvernement argentin. Son territoire appartient aux indigènes et son fonctionnement est étroitement lié à la Pachamama, évoquée dans le billet précédent. Toute notion de propriété privée à l’occidentale y est bannie. Par exemple quand un jeune couple décide de se marier, le chef du village leur donne en concession une partie du territoire pour y fonder leur foyer. La seule contrepartie est qu’ils doivent commencer à “cultiver” cette terre lors des 2 premières années, la communauté se réservant le droit de récupérer les terres si aucun effort n’est fait dans ce sens.
Sebastien Patrana est guide à Amaicha. Descendant des indigènes, il organise des visites aux ruines de Quilmes, un village limitrophe qui ne bénéficie pas, lui, du même statut automne. On comprends tout de suite dans son discours et dans sa démarche que outre le fait d’être sa source de revenu, le tour qu’il organise est pour lui l’occasion de sensibiliser les touristes sur la situation actuelle de la région. Entendre le récit qui va suivre de la bouche d’un homme aussi concerné et passionné par l’histoire de son peuple est une expérience qui ne laisse pas insensible.
Quilmes, c’est un peu le village d’Asterix transposé en Amérique du sud. Après avoir repoussé l’envahisseur Inca venu du nord pendant 50 ans, les espagnols avec leurs fusils et chevaux venus d’un autre monde se sont eux aussi cassés les dents plus de 100 ans sur cette cité située à flanc de montagne. C’est entre autre cette situation géographique si particulière qui leur a permis de résister tant d’années. Impossible pour l’envahisseur de passer inaperçu quand on le voit arriver à plus de 30 km des portes de la ville.
Mais évidemment la gouvernance espagnole en a eu assez de ce petit jeu et Quilmes a cédé en 1666, dans des circonstances dont je t’épargnerai les détails morbides. Toute la communauté a été disséminée afin d’empêcher tout mouvement de rébellion. Une partie d’entre elle a entre autre été forcée de traverser le pays jusque Buenos Aires en traînant une croix gigantesque pour leur inculquer les bienfaits du catholicisme.
Je passe rapidement sur les 3 siècles qui ont suivi pendant lesquels la situation s’est relativement stabilisée pour arriver en 1992, l’année de l’arrivée au pouvoir de Carlos Menem. Sous sa présidence, tout le pays a été privatisé, ce qui l’a conduit droit dans le mur en 2001. Des transports publics aux exploitations minières, de la poste aux… ruines de Quilmes, dont une concession de 10 ans fut attribuée à un homme d’affaire qui n’a rien trouvé de mieux que de construire un hôtel avec piscine sur les ruines du cimetière de la cité. L’hypothèse du marché noir archéologique est fortement considérée, les indigènes étaient en effet enterrés avec toutes leurs possessions.
A l’heure actuelle la communauté a récupéré les lieux et peut finalement engranger les bénéfices générés par l’exploitation touristique du site, mais le bras de fer avec la justice est loin d’être terminé. Et comme celle-ci fonctionne à grosse louche de corruption rien ne dit que l’homme d’affaire exproprié ne récupère au final les droits sur le site, comme cela a déjà failli se produire il y a 3 semaines de cela. Le seul moyen de pression des Indienos et de bloquer l’accès du site. Cela s’est révélé efficace jusqu’à présent mais cela parait tellement dérisoire comparé à l’armada juridique qu’on leur oppose.
Voilà, j’avais envie de te faire partager cette histoire car elle m’a particulièrement touchée. J’ai l’impression qu’en Europe on ne connaît pas grand chose de l’histoire de l’Amérique du Sud, moi le premier. Donc j’ai saisi cette opportunité de t’en faire partager une infime partie…
Hasta Luego